essai 1

Shakespeare

 

Sa vie : citation de l' Encyclopédia Universalis

On en sait autant, et même plus, sur la vie de William Shakespeare que sur celle de la plupart de ses contemporains. Mais sa réputation a nourri encore plus de légendes et de mythes que l'historien n'a de faits authentiques sur lesquels se fonder.

Il naquit à Stratford-sur-Avon, aimable bourg du comté de Warwick, en 1564, et si l'on en croit la tradition, un 23 avril. C'est aussi un 23 avril qu'il mourut à Stratford même, où il s'était retiré quatre ans plus tôt. Ainsi fut bouclée la vie exemplaire d'un homme dont le génie réserva ses éclats au monde imaginaire qu'il peupla de ses créatures.

Son père, John Shakespeare, de paysan se fit gantier. Il épousa Mary Arden, de vieille souche bourgeoise, qui lui apporta du bien. Le voici citoyen respectable et respecté, propriétaire de la célèbre maison, dénommée the Birthplace , où William vit le jour. Il devint membre de la corporation municipale, alderman (échevin), et même juge de paix. Il alla jusqu'à solliciter des armoiries, que William lui fit obtenir en 1596, avec la devise Non sanz droict. Bref, ce fut un gentleman, qu'on suppose être resté dans la foi catholique.

William fut mis à la grammar-school de Stratford, où l'on enseignait le latin. On ne sait le temps qu'il y passa. Amoureux précoce, il épousa à dix-huit ans, en novembre 1582, Anne Hathaway, de huit ans plus âgée que lui, qui lui donna une fille, Suzanne, le 26 mai de l'année suivante. Puis vinrent deux jumeaux, le 2 février 1585, Judith et Hamnet. Ce fils unique mourut à l'âge de onze ans. Suzanne épousa le docteur John Hall en 1607 et mourut en 1649. Judith épousa Thomas Quiney, et disparut en 1662. Shakespeare aimait bien ses filles. Il leur donna la place d'honneur dans son testament, au détriment, dit-on volontiers, de sa femme, qui ne reçut que son "deuxième meilleur lit" - mais on oublie que le droit coutumier de l'époque attribuait à la veuve un tiers du revenu de la succession. Ligne directe ou collatérale, la famille Shakespeare s'éteignit avec Judith Quiney. Reste l'ßuvre.

En 1592, le dramaturge Robert Greene se mit en fureur contre celui qu'il traita de "Shake-scene", de "Johannes fac totum", de corbeau parvenu, paré de plumes empruntées, dans son furieux pamphlet Un liard de malice (Groats of Wit ). On avait perdu la trace de Shakespeare depuis 1585, où il avait quitté Stratford et femme pour sa traversée du désert. S'évada-t-il avec une troupe d'acteurs itinérants? Fut-il instituteur dans quelque village? Dut-il fuir la colère de sir Thomas Lucy dont il aurait braconné les daims? On ne sait. Mais lorsque Greene l'invective, il est à Londres, et déjà connu.

Acteur, ravaudeur de pièces, auteur lui-même, s'il a d'abord tenu les chevaux par la bride à la porte du théâtre, il règne au Globe, dont il est, avec les Burbage et d'autres comédiens, fondateur, sociétaire et fournisseur, membre de la troupe de lord Strange (Henry Stanley, quatrième comte de Derby), puis de celle de lord Hunsdon, le lord chambellan; enfin, après la mort d'Élisabeth (1603), de la troupe du roi (King's Men). Ils sont à la fois le plus beau théâtre et la meilleure compagnie de Londres, qui fourmille d'entreprises de théâtre à cette époque. Ils rivalisent avec éclat avec la troupe de l'Amiral, dont Edward Alleyn fut la grande vedette, et ouvrent un second théâtre (privé celui-là), le Blackfriars (1608), où furent jouées les dernières pièces. La vie de Shakespeare épouse alors étroitement la courbe de ses activités dramatiques, que biographes et critiques sollicitent de mille et cent façons.

Sagement, Shakespeare n'avait jamais, malgré ses incartades obscures, perdu le contact avec Stratford. En 1597, déjà nanti, il y avait acheté une belle maison, New Place. Il y installe sa famille, et des réserves de grain. Il achète d'autres biens, prend des intérêts dans la perception des dîmes (tithes ) de la paroisse, s'intéresse aux fonds routiers: il veut être un stratfordien à part entière.

Et puis, après vingt ans de carrière théâtrale, il fait sa sortie, comme Prospero. Il jette sa plume magique, reprend le chemin de Stratford en 1612, réintègre son petit "duché", fait son testament, et y rend l'âme quatre ans plus tard. On l'enterre avec les honneurs dans l'église de la Sainte Trinité. Quelques années plus tard, on lui élève un monument, avec effigie et inscription. Le dernier vers du quatrain de la pierre tombale maudit l'imprudent qui dérangerait ses os - Curst be he y t moves my bones. Les bonnes âmes disent qu'il n'est pas l'auteur de cette malédiction. Pourtant, Hamlet comme Macbeth n'ont-ils pas la nostalgie d'un sommeil que rien ne troublerait?

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