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N'tait le hic de la religion: depuis octobre dernier, depuis l'ÇIntifada d'El AqsaČ, le facteur intgriste, la foi comme force militante et politique, fait irruption chez eux. Irruption inexplicable par ceux qui la voient comme le flau qui vous gche tout: a vous casse un beau processus de paix qui allait ÇpresqueČ se conclure. Et nous voil devant une guerre de religion... Et comment remettre l'histoire sur les bons rails pour formuler les questions en termes lacs et clairs? Etc. Ce schma, d des esprits angoisss par l'irrationnel, est simpliste. Il encadre le conflit dans un schma occidental o il n'y a plus qu' se lamenter sur cette ÇfolieČ religieuse qui engendre le chaos. Or il se peut que l'histoire fasse l-bas un gros travail d'puration, comme pour dgager du religieux des enjeux symboliques qui concernent tout le monde - ce qui explique au passage que, ici mme, tant de gens, a priori loin du conflit, s'y impliquent avec passion. Alors voici quelques nuances qui branlent ce cadre simpliste mais nous rapprochent du rel. L'Occident semble ÇsortiČde la religion mais demande s'il n'y a pas laiss des valeurs spirituelles, et il retourne les reprendre comme des affaires oublies; s'efforant, dans ce retour, de ne pas retomber dans les vieilles ornires. Et c'est bon signe: le Çretour au religieuxČ est d'abord un retour aux grands problmes que les religions ont confisqus tout un temps. La civilisation occidentale, due par sa russite, cherche de nouveaux marquages symboliques, pousse en cela par sa clinique ou sa technique (exemple: les no-familles), elle examine de plus prs les liens entre symbolique et religieux; sans parvenir encore symboliser les clivages (enjeux culturels, perspectives identitaires, etc.). L'exemple d'Isral - du sionisme - est l-dessus loquent: Sion (autre nom de Jrusalem) fut pendant prs de trente sicles le mot d'ordre spirituel et religieux du retour aux sources, aux origines, la Parole inspire. Ce retour fut mis en ţuvre par des lacs, des mcrants, mais sur la base d'une adhsion affective et religieuse de l'ensemble du peuple juif. Le sionisme rvla Sion comme symbole qui pouvait se dgager de sa gangue religieuse pour impulser le retour son histoire concrte, vivante, inscrite ailleurs que dans le Livre. Mais sans sa force symbolique, ancre dans le support biblique, Isral n'aurait pas exist. Le sionisme a ralli le peuple juif sur une base o le symbolique avait dj merg de son blocage religieux. Ct palestinien, le fonds religieux est islamique, pour l'essentiel, c'est une reprise du fonds biblique. Ce n'est pas pour rien si la dernire rvolte est sous le signe d'El Aqsa: c'est la rplique de Sion comme le Coran est la rplique du Livre hbreu (je l'ai montr dans mes Trois Monothismes). Mais pour l'instant, ce fonds ne peut pas distinguer l'aspect symbolique et l'aspect religieux car les deux composantes fusionnent dans l'lan national, repoussant plus tard l'invitable confrontation propre aux Etats arabo-musulmans: entre l'islam et l'Etat, celui-ci acceptant certes l'islam mais l'cartant du pouvoir au prix de rpressions sanglantes (Algrie, Syrie, Irak, Egypte, etc.). Quand ces rpressions n'ont pas lieu, c'est que l'islam est dj au pouvoir (le Maroc est un cas mixte). Cet affrontement aura lieu quand l'Etat palestinien existera, pas avant. Comme par hasard, les ngociations ont chou sur la question du retour des rfugis palestiniens. L'ide de ce retour qui joue sur plusieurs tableaux (populations dplaces, ou citoyens d'un Etat) a une logique prcise: convaincre le monde - et les Palestiniens eux-mmes - que la Palestine existait dj comme Etat, avant 1948. Car le drame des Palestiniens, c'est que, existant comme peuple (de faon floue avant Isral et de faon plus prcise depuis qu'Isral existe), ils n'ont jamais eu d'Etat, et ils se sont trouvs face des chefs israliens (style Ben Gourion, Golda Mer...) pour qui un peuple sans Etat dans le pass n'est qu'un appendice des Etats frres. En somme, il y a une renaissance de l'Etat hbreu et une naissance de l'Etat palestinien, pas une renaissance. L'ide du retour vise aussi effacer les traces des guerres o Isral l'a emport; il y jouait son existence, et il a gagn d'exister. Il y a dans tout cela un effort pathtique pour rcrire l'histoire, avec le risque d'oublier que c'est parce qu'elle a eu lieu qu'on peut s'offrir de la rcrire; dans certaines limites. Ce tic est bien connu. Exemple, c'est parce que le Japon a t vaincu par ÇHiroshimaČ qu'on peut s'offrir de dire que ce fut une barbarie. De mme, c'est parce que Louis XVI a t dcapit qu'on s'offre lors de sondages rcents de dire qu'aujourd'hui on ne le ferait plus. Et si l'un des enjeux l-bas tait une comptition entre criture et rcriture de l'histoire; ou de la parole inspire: le symbole tant l'criture de la Bible et sa reprise par le Coran? Parfois, la rcriture veut remplacer le deuil faire. Elle exige l'effacement des traces antrieures: vous voulez la paix? alors revenez aux conditions d'avant la guerre. Cela parat ahurissant pour des esprits pragmatiques, mais peut-tre est-ce le prix payer pour un partage du symbolique? En attendant de voir comment les Palestiniens vont vivre leur ÇsionismeČ eux, certains proposent un retour ÇsymboliqueČ des rfugis: environ cent mille. Il y aurait donc, comme pour le peuple juif, une vraie diaspora, ÇnormaleČ. Pourquoi pas? Ceux qu'angoisse l'extrmisme musulman tentent de se calmer en se disant qu'un jour ou l'autre il sera vaincu par le dveloppement, le progrs technique, etc. Mais rien ne dit que l'islam ne soit pas en mesure de grer le progrs technique: la culture des ordinateurs exige-t-elle une telle libert de pense qu'elle force briser le cadre intgriste? Rien ne dit que l'attrait de la modernit (libert individuelle, pouvoir de consommation, technique...) puisse ouvrir dans cet difice religieux la brche qu'il faut pour y prlever une dimension symbolique libratrice. Il se peut que le Proche-Orient soit une sorte de laboratoire, un champ d'exprience o l'histoire teste de nouvelles approches (non religieuses) du symbolique. Pour l'instant, rien n'est jou. Mais Isral, en ayant laiss traner le problme palestinien, est en partie responsable de son revtement religieux. Cela dit, vu l'normit des enjeux, il se peut que le problme se maintienne insoluble. Dj aux temps bibliques, il l'tait: comme une image de la faille intrinsque dans les relations entre les peuples, symbolisant une autre faille que les hommes ÇdoiventČ, un jour, arriver non pas combler mais supporter ou mieux, fconder. Du coup, le long de cette faille brlante, tous les partenaires - Occident, Isral, Ismal - auraient de quoi partager....
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