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Paru dans Libération |
Par Le |
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arfois, justice est faite,
pniblement, et on est tout gns. En l'occurrence, des hommes en vue ont
dcid qu'il fallait tre gracieux, librer Papon, car la prison son
ge, c'est quand mme dur, etc. L'ennui avec ces arguments (notamment
l'ge et la duret de la dtention), ce n'est pas qu'ils soient
rfutables, c'est mme leur charme d'tre fragiles : si aprs 90 ans
on ne peut plus vous emprisonner, a pourrait augmenter la criminalit
snile, des gens attendront cet ge pour rgler leurs comptes, ceux de
toute une vie, et cela peut tre sanglant ; ou amusant : de
vieux bandits, l'arme au poing... Non, l'ennui avec ces arguments, c'est
que ceux qui prnent cette grce, cette gnrosit, mettent les autres en
posture d'tre des ĮdursČ, des mchants, des gens qui disent : ĮEt
nous alors ? et nos familles ? et nos petits frres ? et
nos vieux partis en fume ?Č... Bref, ils les obligent paratre
sans grce, crisps, tatillons, lgalistes, voire haineux ; exhiber
leurs plaies ou celles de leur mmoire alors qu'elles ont t juges,
reconnues. La grce semble tre un gteau partager, les premiers
prennent pour eux la grosse part, presque tout, a les rend ĮgracieuxČ, et
ne laissent aux autres, aux affams de justice, que des miettes qui les
font paratre hargneux.
Mais en principe, si justice il y a eu, cette hargne vindicative n'a plus lieu d'tre : l'acte de justice, si c'en est vraiment un, met du baume sur la plaie et dissipe la rancune. Or l, on leur propose un spectacle de justice, une justice d'o la sanction et la peine sont retires : allons, puisqu'il a t jug, reconnu criminel, puisque ce fut une belle leon pour les jeunes, quoi demander de plus ? Ces gens-l (les victimes, et j'imagine les mes en peine des victimes directes dont on dit qu'elles rdent en attendant que justice soit faite) ont du mal comprendre. On ne les a pas initis au fait que ce qui compte dans la justice, c'est les sances de tl, le battage mdiatique. On ne leur a pas fait comprendre qu'une fois le spectacle termin, chacun rentre chez soi ; comme des acteurs. Aprs le franc symbolique il y aura le jugement symbolique - sans peine, car a fait de la peine. Et ce, au nom de la compassion et du fait que l'essentiel se passe dans le cūur et l'esprit, pas au niveau du matriel, du corporel. Cela me rappelle l'ide de saint Paul - ce rabbin qui a fond le christianisme -, son argument contre la circoncision prne par la vieille Bible : elle devait symboliser dans la chair le fait que le cūur est entam, non ferm sur lui-mme, ouvert sur l'autre, sur la vie, le manque, l'amour, etc. (toutes choses que les vieux prophtes clamaient huit sicles avant J.-C.). Voil son ide : eh bien, on s'en tiendra la circoncision du cūur, pas besoin de cet acte de chair, plutt barbare. Rsultat, les chrtiens ne sont pas plus circoncis du cūur - ni moins - que leurs prdcesseurs hbreux, mais le symbole, comme croisement de chair et d'esprit, de matire et de mmoire, a saut. Mme si, plus tard, les agents de Papon, en traquant leurs victimes, en ont dculott certains pour voir s'ils taient... circoncis. Bref, on demande aux mes des victimes et leurs descendants qu'ils prennent un peu sur eux, un peu plus, pour que l'ĮhumanitČ l'emporte dans Įle crime contre l'humanitČ. Ce joli jeu de mots est peut-tre faux. On demande des tres individuels d'riger leur souffrance personnelle, singulire, au niveau d'un concept qui de fait n'en a pas besoin : l'humanit vient toujours bout des crimes commis contre elle, elle leur survit, elle les dborde, les enveloppe, sans d'ailleurs les effacer, mais elle n'y tient pas. Peut-tre mme qu'on leur demande de payer pour un concept discutable qui couvre par de belles envoles une ide simple et prcise : crime imprescriptible. Mais s'il est imprescriptible, pourquoi la peine serait-elle prescrite ? Quand l'air gracieux et la belle pose des uns se paient du cramponnement des autres, c'est qu'il y a quelque part une erreur. A moins que le message qu'on veut ĮpasserČ ne soit tout autre, du genre : ĮChres mes en peine, les temps sont durs, par de subtiles mises en scne on fait passer vos descendants pour des tueurs d'enfants. Alors acceptez qu'on dbranche sur les camps, pour qu'on ne les fasse pas aussi passer pour des tortionnaires de vieillards, des Shylock...Č Et les mes, sidres : ĮMais alors, ce n'est toujours pas fini ?! Et jusqu' quand ?...Č. |